Megalopolis de Francis Ford Coppola (2024).
"O tempora, o mores".
A film mégalo, critique mégalo.
C'est quoi Megalopolis? Un péplum rétro-futuriste qui assimile, via l'image du déclin et de la chute, l'Amérique d'aujourd'hui à la Rome antique (qui n'était pas des plus romantique), image symbolisée par New York, rebaptisée pour l'occasion "New Rome", la ville nous rappelant aussi la Gotham City de Batman, ce qui n'a rien d'étonnant, Gotham étant le surnom de New York. A ce titre, il est tout aussi logique de voir le héros du film (Adam Driver, alias Cesar Catilina) demeurer dans l'attique du Chrysler Building, lieu mythique des super-héros (l'Empire State étant déjà occupé par King Kong). On pense ainsi au Surfeur d'argent (de la série des Quatre Fantastiques) survolant sur sa planche "supraluminique" le Chrysler Building, alors que Driver, au tout début du film (le pré-générique, esthétiquement ce que le film a de plus beau avec la DS noire de Coppola dans laquelle se déplace le héros), nous fait, lui, la démonstration de son super-pouvoir, celui qu'il a d'arrêter le temps ("Time, stop!"). On ajoutera, pour l'anecdote, que c'est Laurence Fishburne — acteur coppolien s'il en est — le commentateur du film (en même temps que le "driver" de Driver) est que c'était lui (il n'y a pas de hasard) la voix du Surfeur d'argent dans le film de Tim Story. Pour finir avec les super-héros, car ce n'est pas le sujet du film, juste une manière d'entrée dans un univers de fiction gouverné par le seul imaginaire, en l'occurrence celui de Francis Ford Coppola, fort des quarante ans de "gestation" qu'aura pris le projet... oui, eh bien, pour finir avec ce côté Marvel ou DC du film, on précisera que le super-pouvoir en question est lié à la découverte par le héros du Mégalon, un matériau de construction aux propriétés multiples autant que magiques (hypermalléable, il assure tous types de connexion, au grand dam de Dustin Hoffman, le "fixer" du film, qui ne jure que par le béton et l'acier, en plus de rendre "transparent", ce qui est un écho aux Gens de la pluie, un des premiers films, et des plus beaux, de Coppola).
Parce qu'il est temps de le dire, Adam Driver tient ici le rôle d'un architecte de génie (donc torturé), idéaliste et visionnaire, qui rêve de la cité idéale, ce qui renvoie bien sûr à Gary Cooper dans le Rebelle (The Fountainhead) de King Vidor, d'après Ayn Rand, la papesse de l'objectivisme, proche en cela du libertarianisme (1), sans en être le décalque non plus. Si Megalopolis évoque le Rebelle, c'est aussi parce qu'on y retrouve, à travers le personnage de Catilina, tout un esprit, on pourrait dire "rando-vidorien" (l'idée de conscience, de courage — la moxie — et du destin...), ainsi que des similitudes avec l'histoire que raconte le film de Vidor, concernant notamment les rapports entre Catilina, Cicero, le maire corrompu de New Rome qui est son ennemi intime (il rêve, lui, d'une ville-casino), et Julia, la fille du maire, amoureuse de Catilina, trio comparable (mais en plus superficiel) à celui que forment dans le Rebelle, Roark (Cooper), Wynand le patron de presse qui lui est hostile et son épouse Dominique (Patricia Neal) qui aime Roark... Reste que ce qui fait le plus "lien" (sans Mégalon) entre les deux films, c'est bien sûr le thème de l'architecture, soit la forme même de Megalopolis (j'y reviendrai, car c'est ce qu'il y a de plus déconcertant/sidérant dans le film), là où le parallèle entre la chute de l'empire américain (pour paraphraser Denys Arcand), et la chute de l'empire romain (pour paraphraser Anthony Mann), tient lieu de "discours", avec ce que cela implique chez Coppola d'édifiant, voire de pontifiant, rendant certains passages pour le moins pesants — en même temps, c'est ça un pensum, au sens premier du mot: le poids de laine que l'esclave devait filer chaque jour... étant entendu que la laine ici aurait à voir avec "l'étoffe dont sont faits les rêves", comme dit Prospero dans La Tempête de Shakespeare, et que reprend à son compte Cesar Catilina... Shakespeare qui d'une certaine façon encadre le film, Catilina ouvrant sa première intervention publique (la séquence sur les échafaudages) par l'incontournable "To be or not to be..." d'Hamlet, la suite du film, pour ce qui est des citations littéraires, allant d'Emerson ("L'humanité finira par mourir de sa propre civilisation", mais j'ai un doute sur l'auteur ou sur l'exactitude de la phrase) à Pétrarque ("L'amour est la grâce suprême de l'humanité" que je cite parce que c'est la seule de Pétrarque que je connaisse, mais rien ne dit qu'elle soit dans la film), en passant par Marc Aurèle ("Notre vie est ce qu'en font nos pensées", celle-là c'est sûr). Etant étendu, encore, qu'à ce niveau (celui du discours), le plus roboratif dans Megalopolis (donc le moins rébarbatif) est quand même ce qui touche directement à la correspondance Rome antique-Nouvelle Rome, non pas pour ce qu'elle a d'originale (Fellini en 1969 comparait déjà dans son Satyricon, qu'il considérait comme une "œuvre de science-fiction", le monde actuel à la Rome de Pétrone) (2), ni pour ce qu'il en est des fameuses Catilinaires dont Coppola se sert lorsque Cicero adresse son harangue à Catilina ("Jusqu'à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina?...), accusé comme son homologue romain de meurtre et de relation sexuelle avec une vestale (censément vierge), mais par ce qu'elle produit (par instants) de réjouissant (dans un ensemble passablement lugubre) via les personnages secondaires qu'interprètent Shia LaBeouf (alias Clodio Pulcher) et Aubrey Plaza (alias Wow Platinum), voire les (trop) rares scènes vraiment loufoques que s'autorise le film (Schwartzman jouant soudainement de la batterie — le plan dure trois secondes —, les apparitions de Kathryn Hunter, la vieille cracmol de Harry Potter, et bien sûr Jon Voight, l'oncle Crassus qu'on a dépossédé de sa banque et qui pour se venger, déguisé en Robin des Bois (c'est au moment des Saturnales), plante ses flèches dans le cul de LaBeouf, après avoir transpercé le cœur de la cupide Wow (Megalopolis, le test de Bechdel, il passe pas... lol).
Bon. Revenons à l'esthétique, la forme donc, qui, plus encore que l'aspect fumeux de son propos, est probablement ce que le film de Coppola offre de plus... hallucinant, disent les zélateurs, consternant, répondent les contempteurs... les deux mon capitaine, nous diront les autres. Ou alors, ni l'un ni l'autre... au sens où, sur ce plan, Megalopolis n'a rien de révolutionnaire, de la même façon qu'il ne relève pas du "jamais vu" comme l'affirment certains (à la mémoire peut-être défaillante, oui mais c'était à Cannes), parce que le Coppola s'inscrit, outre les autres films "mégalo" de l'auteur, dans une lignée de films justement déjà vus, à la structure sensiblement proche, je pense par exemple à Southland Tales de Richard Kelly et Cloud Atlas des Wachowski (et de Tyler), deux films qu'on avait d'ailleurs qualifiés à leur sortie de véritables "ofni" (objets filmiques non identifiés, bref du "jamais vu"), ceux-ci n'étant finalement pas si exceptionnels dans la production cinématographique (surtout si on remonte jusqu'à Gance). On y éprouve ce mélange d'ahurissement et d'interrogation qui fait qu'on passe une bonne partie du film à se demander ce que tout cela veut dire, à cette différence que dans le Coppola la puissance fictionnelle y est quand même très faible (comparée aux deux autres), ce qui rapproche le film du cinéma de Carax (en mieux toutefois, par rapport à Annette, gâché par son dualisme mortifère), pour ce qui est d'une certaine imagerie, très "années 80", renvoyant Megalopolis à toute une période de l'œuvre coppolienne, celle "post-apocalyptique" qui a vu le cinéaste se lancer dans d'incroyables défis (techniques), comme autant d'expérimentations, ainsi dans One from the Heart le recours au "tout-studio" et à ses décors grandeur nature, avec le risque que cela entraîne, celui de céder à la boursouflure, sinon l'esbroufe, mais que le génie visuel de l'artiste permettait de transcender (au contraire de ce qui se faisait en France au même moment avec Beineix et consorts)... Une époque qui est celle du projet "Megalopolis" et dont la concrétisation quarante ans plus tard a gardé les traces, de sorte que si Megalopolis émeut c'est en premier lieu par cet aspect. L'obstination de Coppola, non pas comme son héros (traité dans le film de "pervers obsessionnel compulsif") à vouloir révolutionner son art, mais simplement retrouver cette folie créatrice des années 80, qui le ruina (une fois de plus) mais lui permit aussi de concrétiser avec Tucker le plus beau de ses rêves (Tucker est probablement le film où l'habituel kitsch de Coppola se trouve le mieux intégré au projet formel), via le personnage dont on peut dire que le cinéaste n'avait jamais été aussi proche (et ne le sera plus jamais par la suite, avec aucun autre de ses personnages), faisant de Coppola le Tucker, ni plus ni moins, du cinéma.
Megalopolis est-il camp?
La structure! La structure! J'y arrive. Et pour cela, repassons par le kitsch. Et d'abord le baroque. Megalopolis relève-t-il du baroque? Oui, si l'on considère comme baroque tout film qui fait preuve d'un imaginaire florissant et/ou d'une certaine virtuosité stylistique, mais pas suffisamment, il me semble, si les formes relèvent, à l'image du Coppola, moins de la dépense que de l'accumulation, moins de la prolifération à l'infini (le fameux "pli" deleuzien, même si le mot "péplum" vient du drapé de la toge romaine) que de la sédimentation, moins de la métamorphose que de la cristallisation. Et que, pour parler de baroque, il faudrait que toutes ces figures antinomiques se combinent avec suffisamment de force pour que ce qui les oppose se trouve surmonté. Dans Megalopolis, ça accumule, ça sédimente, ça cristallise... mais ça ne va pas au-delà, la démesure n'est pas la transcendance. Alors que dans le Rebelle, oui, ça "baroquise" à mort (3). Cela dit, il se passe des choses dans le film de Coppola qui ne se limite pas aux oppositions faciles. C'est déjà le choix de l'architecture et de ce que cet art a de spécifique, en interagissant avec son milieu, mais surtout dans son rapport au temps, qui n'en fait pas qu'un art de l'espace. Si créer est déjà une façon d'arrêter le temps (comme le fait le héros grâce au Mégalon), l'architecture aurait, par elle-même, la faculté de le moduler (c'est dit dans le film, en d'autres termes), et c'est cette "modulation" que Coppola vise à traduire (conjointement à la musique du film signée Osvaldo Golijov) à travers toutes ces figures de style, parfaitement grossières, qu'il conjugue ad libitum (diront les "pour"), ad nauseam (diront les "contre"), peu importe, l'essentiel est que ce soit du latin. Sachant que la modulation, c'est ce qui définit le passage d'un niveau à un autre, comme dans le rêve finalement (du préconscient à l'inconscient et vice versa, encore du latin), qui fait de l'architecture (et de son prolongement, le cinéma) l'art structurellement le plus proche du rêve. D'où cette non-hiérarchisation des images dans le film, sur le plan esthétique, entre le franchement hideux (le show caritatif qui voit la chanteuse Grace VanderWaal en vestale, accompagnée de son ukulélé, descendre des cintres sur un croissant de lune, là on est dans le pur chromo, le mauvais goût assumé de la séquence n'étant pas sans rappeler David Lynch, le Lynch de Wild at Heart) et le super mastoc (les statues en mouvement, représentant l'une la Loi l'autre la Justice, qui s'effondrent et agonisent au sol — parce que "les statues meurent aussi"?), deux formes de kitsch, qui déplacent la sempiternelle question du bon et du mauvais goût sur un autre terrain, autrement plus fertile (même si c'est laid le plus souvent, mais on s'en fout) entre bon kitsch: les "moving statues" donc, le logement de Driver dans la flèche (en acier inoxydable!) du Chrysler Building (4), son œil blessé, réparé par le Mégalon, les vues finales de Megalopolis, entre Metropolis de Fritz Lang et la Vie future (Things to Come) de William Cameron Menzies... et mauvais kitsch: en fait toute la partie "spectacle" du film et last but not least, le dernier plan monstrueux avec le bébé...
Est-ce à dire que c'est parce qu'il y a suffisamment de "bon kitsch" dans Megalopolis que le film s'en trouve sauvé? Je rappellerai que si le film n'est pas la croûte que beaucoup dénoncent, c'est en premier lieu parce que ladite "croûte", présente à certains endroits (le mauvais kitsch), et dont on pourrait également qualifier l'opposition sans beaucoup de nuance entre Cicero et Catilina ou l'amour à la fin très gnangnan entre Catilina et Julia, est en partie réduite, à défaut d'être éliminée, par l'apport (volontairement grotesque, sans quoi le film serait d'un ennui mortel) que représentent, dans le premier cas, le personnage de Clodio (inspiré du vrai Clodius romain, un populiste opposé à Cicéron, qui s'était réellement déguisé en femme pour approcher l'épouse de Jules César) (5), et dans le second, le personnage négatif de Wow Platinum (fictif, lui, c'est le nom d'une poudre à embosser, autant dire qu'il fait "ressortir" le personnage), qui s'oppose à l'idéal amoureux (et franchement tartignole) auquel renvoie la première épouse (défunte) de Catilina et que prolongera la deuxième dans son rôle de maman. Clodio et Tatie Wow, non seulement permettent de dialectiser les rapports (entre idéalisme et cynisme, jeunesse et maturité), mais surtout offrent une image finalement plus conforme à ce que déploie le film. Qui ne se limite pas à celle d'un temps littéralement suspendu, tels les deux amants sur leur poutrelle, au-dessus du vide (l'image est celle du bon kitsch), mais d'un temps plus malléable, comme le Mégalon, plus plastique dirons-nous... (si on arrête le temps, c'est aussi pour pouvoir le relancer d'un claquement de doigts). Pourquoi cette image colle-t-elle avec l'esthétique vulgaire de Megalopolis? Difficile à dire. La réponse pourrait être dans la notion de camp. L'idéal du camp, qui n'est pas dans la beauté mais dans la stylisation, tel qu'on le trouve par exemple dans "les lampes aux abat-jour en mousseline", ainsi que l'écrivait Susan Sontag. Le camp qui dès lors serait plus que du "bon kitsch", parce que plus naturellement présent dans ce qui nous entoure. Et que "voir le côté camp dans les êtres et les choses, c'est se les représenter jouer un rôle", soit "l'image de la vie comme représentation théâtrale". Le camp qui célèbre le style équivoque (le personnage de Clodio est résolument camp, de même que l'exubérance de sa tante: "wow"!), faisant fi des jugements esthétiques (entre le bon et le mauvais, on l'a dit), parce que le camp représenterait une troisième forme de sensibilité créatrice, après celle de la grande culture, qui "se fonde solidement sur la morale", et celle de l'excès, qui anime souvent l'avant-garde et "tire avantage d'une perpétuelle tension entre l'esthétique et la morale". Alors que le camp (qui ne cherche pas l'harmonie, insistant au contraire sur l'impossibilité de s'en tenir à la notion ancienne de perfection) est "une expérience du monde vu sous l'angle (exclusif) de l'esthétique, exprimant ainsi "une victoire de l'esthétique sur la moralité, de l'ironie sur le tragique (même si le pathos et un certain sentiment de cruauté y sont fréquemment retrouvés); qu'il est (le camp) le "dandysme du temps moderne", qui se moque du sérieux et prend la frivolité au sérieux, surtout qui goûte aux plus communs des plaisirs, aux arts dont se délecte la masse, appréciant la vulgarité car pour lui finalement "le bon goût excède les limites du bon goût" ou pour le dire autrement "il existe un bon goût du choix des objets de mauvais goût" (toutes les citations sont de Sontag).
Mais encore. Parce que si le camp aime certains objets vieillots (vintage), "ce n'est pas simplement par goût de l'ancien, mais parce que le vieillissement procure le détachement nécessaire" qui permet à ces objets de prendre du relief, de même que "le temps libère l'œuvre d'art de ses conséquences morales et la livre à la sensibilité camp", ce qui fait qu'il "rétrécit le domaine de la banalité" ("ce qui fut banal peut, avec l'aide du temps, devenir fantastique"). Toujours Sontag. Ce rôle du temps dans la sensibilité camp — pensons à Youth Without Youth avec ses roses — ne serait-il pas ce qui "marque" le plus (au sens d'une empreinte) Megalopolis, avec ses roses également (sans oublier la lumière mordorée du film), et lui confère toute sa "grandeur" (la mégalo est là)?... malgré tout, ajouterons-nous. Il se pourrait que tout ceci témoigne chez Coppola d'une sorte de "retour du refoulé", remonté qu'il serait, à la surface et s'y étalant complaisamment (no limit), ou encore qu'il y aurait là la manifestation (postmoderne) du processus de création (le couple créer-détruire), révélant ce que Ehrenzweig, dans son essai sur la psychologie de l'imagination artistique, appelait "l'ordre caché de l'art" (6). Peut-être. Mais en dernier ressort, si le film finit par toucher, c'est bien, en ce qui me concerne, par son côté camp et, soyons précis, le camp dans son rapport au temps. Que c'est justement parce qu'il a été conçu il y a quarante ans et n'a été réalisé qu'aujourd'hui (on pense à l'Angélica d'Oliveira), sans les transformations importantes qu'imposait "logiquement" un tel décalage, donnant au film le style camp d'un objet vintage, que Megalopolis emporte le morceau.
(1) l'homme en tant qu'être héroïque avec comme objectif moral son propre bonheur, ce que Rand, émigrée russe allergique au communisme, appelle "l'égoïsme rationnel", lequel à l'en croire n'était compatible, socialement parlant, qu'avec le "laissez-faire capitaliste".
(2) "Il y a des analogies déconcertantes entre la société romaine avant l'arrivée définitive du christianisme, cynique, impassible, corrompue et effrénée, et la société d'aujourd'hui, dont les traits ressortent de façon moins nette parce que plus problématique, plus confuse... Si l'œuvre de Pétrone est la description réaliste, sanguinaire, savoureuse des coutumes, des caractères et des milieux d'alors, le film que nous voulons librement en tirer pourrait être une fresque dans le genre fantastique, une satire allégorique puissante et synthétique de notre monde actuel." (Federico Fellini, 1968)
(3) Si l'on suit Luc Moullet qui, dans son livre sur le Rebelle (éd. Yellow Now, 2009), décrit le film de King Vidor comme "un film malin, savant, glacé, hyperpro, mais aussi un film abrupt, brutal, cinglant, condensé, convulsif, déchiqueté, déjanté, délirant, discrépant, érotique, étourdissant, fascinant, frénétique, grossier, haché, hystérique, mal poli, romantique, surréel, torride, trépidant (c'est classé par ordre alphabétique). Un objet barbare, un météorite. (...) l'une des plus sublimes créations du génie humain." Ce que sera peut-être la cité utopique de Cesar Catilina — une fois construite, après que le satellite soviétique, dont la présence dans le scénario semble relever du résidu, est tombé sur New Rome — mais que le film de Coppola, lui, n'est pas, même si certains qualificatifs choisis par Moullet s'appliquent parfaitement au film et que, dans le cas du Rebelle, le critique exagère, comme à son habitude.
(4) L'insistance sur les fenêtres triangulaires qui composent la flèche du Chrysler Building, de même que ce plan où l'on voit Adam Driver devant sa table à dessin, avec équerre et compas, ou encore cet autre plan où il porte un gros maillet lumineux, sans parler de l'importance de l'œil dans le film, symbole de la connaissance, confèrent à Megalopolis une dimension maçonnique. Il ne peut s'agir de coïncidences. Coppola s'en est-il expliqué?
(5) A ce propos, le fait que le personnage incarné par Driver se nomme Cesar Catilina (et pas seulement Catilina) crée une ambiguïté quant à sa caractérisation, expliquant d'ailleurs l'inversion des rôles entre Cicero et Catilina dans la mesure où si le Cicero du film se révèle être le conservateur (bien plus que le grand rhétoricien que l'Histoire a retenu), qui plus est, corrompu jusqu'à la moelle, c'est qu'il a en face de lui autant le César révolutionnaire que le Catilina conjurateur qui veut prendre le pouvoir pour mettre fin à la dette.
(6) "Il faut dissocier un ordre de surface et un ordre caché, ou encore, selon les termes de Jean-François Lyotard qui préface l'édition française, s'avancer "par-delà la représentation". Tout ce qui ne satisfait pas aux principes qui commandent l'ordre de surface (celui de la "bonne forme" ou système préconscient de Freud) est "refoulé" et enregistré en une perception profonde, non articulée: c'est cet ordre caché, où l'on voit à tort un chaos, que l'art tente, dans un double mouvement, de rejoindre, puis d'élaborer et de figurer." (quatrième de couverture du livre d'Anton Ehrenzweig)