Je n'ai pas parlé jusqu'à présent d'abstraction, alors que s'il y a bien un film pour lequel le terme convient, terme utilisé à tout bout de champ par la critique — comme celui d'épure d'ailleurs — dès qu'un film se présente "nu", dégraissé de son gras narratif aussi bien qu'esthétique, s'il y a donc bien un film dont on peut dire qu'il est abstrait (ou quasi abstrait, comme le précisait Rivette, car l'abstraction pure n'existe pas au cinéma, pour ce qui est du moins du cinéma non expérimental), c'est celui-là. Reste à savoir pourquoi. Pourquoi un tel désir d'abstraction chez Fritz Lang, pourquoi cette accélération soudaine dans la voie de l'abstraction où s'était engagé le cinéaste, surtout depuis son précédent film? A lire le livre d'Eisenschitz, on serait tenté de faire le lien avec ce qui était devenu une nécessité pour lui: quitter au plus vite Hollywood et l'Amérique, et que, prenant conscience de cette nécessité au moment même où il tournait l'Invraisemblable Vérité, Lang aurait "brusqué" les choses, concentrant en quatre-vingt minutes ce qui aurait dû sinon — s'il était resté à Hollywood — se forger de façon plus progressive, via deux ou trois films supplémentaires. Cela a joué, évidemment. Mais on peut aussi voir cette accélération sous un autre angle, envisager d'autres motifs, plus ou moins conscients chez Lang, qui relèvent davantage de la "chose artiste", mieux: du défi de l'artiste: se "prouver" à lui-même (et dans le cas de Lang, contre Hollywood qui ne le considérait plus à sa juste valeur) qu'il pouvait aller beaucoup plus loin (en termes de quête artistique) que ce qu'il avait réalisé jusque-là, quitte à se couper du public et de la critique, en s'imposant un problème de mise en scène qui soit difficile à résoudre, problème au sens mathématique du mot, à la manière des problèmes de Hilbert, ici en l'occurrence et pour reprendre le propre questionnement de Lang dans son entretien avec Bogdanovich: comment faire admettre que le héros soit un salaud alors que le film s'est évertué à nous montrer le contraire. Eh bien la réponse passe par l'abstraction, qui est bien plus que l'épure. Car si l'épure retranche pour ne conserver que l'essentiel, on peut dire que l'abstraction, elle, retranche jusque dans l'essentiel, à commencer par ce qui dans un film relève de l'incarnation. En un sens, l'épure prépare le terrain de l'abstraction. Beaucoup de films s'apparentent à des épures, mais s'arrêtent là, ou alors, s'ils empruntent le chemin de l'abstraction, ne s'y aventurent pas vraiment, pas aussi loin en tous les cas que l'Invraisemblable Vérité (c'était le cas justement de la Cinquième Victime). Fritz Lang, avec ce qu'il considère comme devant être son dernier film tourné en Amérique, se lance donc un défi: rendre cette question de l'innocence et de la culpabilité, qui a parcouru toute son œuvre, la plus abstraite possible. Faire ainsi l'épreuve comme il ne l'avait jamais faite auparavant des puissances de la dialectique. Et ce, par le biais de l'abstraction qui pousse à l'extrême l'absence de chair, le côté distant des personnages (cf. la scène où Joan Fontaine rompt ses fiançailles avec Dana Andrews, on a l'impression qu'elle est juste passée lui dire bonsoir), dépassant/surpassant tout ce qui d'ordinaire établit un lien avec le spectateur (identification, projection...). Et par-là même, dissocie les deux questions que sont, d'un côté, celle de l'innocence et de la culpabilité, et de l'autre, celle de la peine de mort — sujet sensible, qui ne peut que soulever les passions —, évacuant ainsi le thème-bateau (au cinéma) de l'innocent condamné à mort pour ne concevoir la peine de mort que comme un problème de pure morale: la réponse à un crime par un autre crime, que le condamné soit coupable ou innocent. C'est tout le sens de la scène initiale: l'exécution d'un homme dont on ne sait rien de sa culpabilité et de ce qui l'a conduit sur la chaise électrique. Il ne s'agit pas de dire que derrière tout innocent il se cache un coupable, et inversement, mais de rendre les deux termes, coupable et innocent, inopérants pour justifier ou non la peine de mort. Et pour le coup rendre tout aussi inopérants les termes "salaud" et "sympathique" pour définir le personnage joué par Dana Andrews. De sorte qu'à la fin, il n'y a pas de véritable rupture. Pour le spectateur oui, mais au niveau de la logique même du film, non. Andrews est toujours ce même bloc, qu'il soit un brave type ou un salaud n'y change rien. Seul le lapsus est venu témoigner de l'être, présent à l'intérieur. L'abstraction consistait en cela: emprisonner, plus qu'éliminer, ce que Dana Andrews (et les autres aussi) pouvait exprimer d'affectif et de psychologique en surface, ce qu'on pourrait interpréter comme de l'anti-psychologisme. Et évoquer dès lors — plutôt que Hegel — Husserl, voire Frege (plus radical encore dans son anti-psychologisme), ce qui déplacerait la philosophie du film du côté du logicisme. L'abstraction non plus par le "négatif", mais par la logique, sinon les mathématiques (cf. l'article brillant de Serge Bozon, qui en bon logicien analyse le film sous l'angle mathématique — Bertrand Russell est cité en exergue —, in Cahiers du cinéma n°685, janvier 2013, à l'occasion de la sortie en DVD du film). Reste quand même le lapsus...
20/01/2024
A vrai dire
L'Invraisemblable Vérité (Beyond a Reasonable Doubt)
de Fritz Lang (1956).
L'épure et l'impure.
La question de l'épure dans une œuvre, en particulier quand elle touche à la dernière période d'un cinéaste, ne date pas d'hier. Elle a surtout pris forme dans les années 50, avec la politique des auteurs. Et le plus bel exemple, c'est l'Invraisemblable Vérité, le dernier film américain de Fritz Lang, réalisé en 1956, qui nous l'offre.
A sa sortie, le film fut, à quelques exceptions près, mal accueilli par la critique. Ainsi André Bazin qui, dans Radio-Ciné-Télévision (l'ancêtre de Télérama), écrivait:
(...) Sans doute la série B est-elle souvent à Hollywood le refuge de la liberté parce que les réalisateurs n'y disposent que d'un petit budget, sont moins surveillés par le producteur. Aussi est-il justifié a priori de rechercher néanmoins dans ces films "mineurs" quelque chose du génie de Lang, fût-ce dans les marges et sous des formes paradoxales. Je ne nierai donc pas que le scénario de l'Invraisemblable Vérité ait été traité par Fritz Lang très différemment de ce qu'il eût été par Rudy Maté, par exemple; malheureusement cela ne me fera pas conclure que son film en possède des qualités supplémentaires. Tout me paraît au contraire se passer comme si Fritz Lang en était arrivé à un tel degré de mépris pour son scénario qu'il ne pouvait plus sauvegarder sa dignité qu'en opérant autour de cette histoire le vide barométrique de la mise en scène.
Libre sans doute aux partisans de la politique des auteurs d'admirer cette sécheresse d'épure et d'y voir le comble du dépouillement. Je pense qu'ils confondent seulement l'intelligence de l'auteur, que je ne discute pas, avec la valeur intrinsèque de l'œuvre qui approche ici, que ce soit ou non par la volonté de Lang, du zéro absolu (...).
"Mépris pour le scénario", "vide barométrique de la mise en scène", "valeur intrinsèque de l'œuvre proche du zéro absolu"... la sentence est terrible et plutôt surprenante de la part de Bazin. Cette sévérité — marque d'une véritable détestation du film — semble guidée par une forme de rejet qui dépasse le simple point de vue, alors dominant, de l'époque quant à la supériorité du Lang allemand sur le Lang américain, surtout celui de l'après-guerre, renvoyant ici à quelque chose de plus spécifique et manifestement insupportable pour Bazin, à savoir: non pas cette forme d'équivalence que semble établir Lang dans son film entre innocence et culpabilité, mais la manière hautaine et froide avec laquelle il traite son sujet, et pas n'importe lequel: la peine de mort (sentiment de rejet auquel s'ajoute peut-être celui d'avoir été floué, en tant que spectateur, par le réalisateur), et à laquelle répondra Rivette — à moins que ce ne soit l'inverse, Bazin répondant à Rivette — dans son texte célèbre ("La main"), paru dans les Cahiers du cinéma:
Le premier point qui frappe, après quelques minutes de projection, le spectateur non prévenu, c'est l'aspect d'épure, ou plutôt d'exposé, que prend aussitôt le déroulement des images: comme si ce à quoi nous assistions était moins la mise en scène d'un scénario que la simple lecture de ce scénario, qui nous serait livré tel quel, sans ornement. Sans non plus le moindre commentaire personnel de la part du récitant. On serait alors tenté de parler de mise en scène purement objective, si une telle mise en scène était possible; il est donc plus prudent de croire à quelque ruse, et d'attendre la suite.
Le second point paraît confirmer d'abord cette impression: c'est l'abondance des refus qui soutiennent la conception même du film, et peut-être la constituent. Refus, flagrant, de la vraisemblance, aussi bien celle de l'affabulation que cette autre vraisemblance, toute factice, de mise en situation, de préparation, de climat, qui permet couramment aux scénaristes du monde entier de faire passer sans difficulté des péripéties dix fois plus gratuites que celles-ci. (...) Nous sommes plongés dans un univers de la nécessité, d'autant plus sensible qu'elle fait bon ménage avec l'arbitraire des postulats; Lang, ceci est bien connu, cherche toujours la vérité au-delà du vraisemblable, et la cherche ici d'entrée dans l'invraisemblable. Autre refus, qui va de pair avec le précédent: celui du pittoresque (...) Tous ces refus s'accompagnant d'ailleurs d'une sorte de morgue, où certains voudraient voir le mépris du cinéaste pour sa besogne, mais pourquoi pas plutôt pour ce genre de spectateurs?
Puis, le film poursuivant son cours, ces premières impressions trouvent leur justification. Le ton de l'exposé était en effet le ton juste, puisqu'il s'agit bien d'un problème, qui nous est soumis avec tous ses éléments, et même un double problème: le premier relève du scénario, il est fort clair, inutile d'y insister pour le moment; l'autre, plus secret, pourrait vraisemblablement se formuler ainsi: étant donner certaines conditions de température et de pression (qui sont ici de l'ordre transcendantal de l'expérience), que peut-il subsister d'humain dans une telle atmosphère? Ou, plus modestement, quelle part de vie, même inhumaine, dans un univers quasi abstrait, mais qui est cependant de l'ordre des univers possibles? Bref, un problème de science-fiction. (...)
Ce qui apparaît ainsi, dans un premier temps, c'est que l'épure n'a pas vocation à satisfaire les attentes/désirs du spectateur, ni à lui ménager quelques surprises. Son degré de réussite dépend moins de sa réception que de la façon dont elle est exécutée, conformément à ce qu'en exige l'auteur. Parce que les exigences d'un auteur, au moment où il crée son film, n'ont rien à voir avec ce qu'il pense du film une fois celui-ci terminé. Quand Fritz Lang déclare, après coup (c'est dans le livre d'Alfred Eibel publié en 1964), que dans l'Invraisemblable Vérité il a voulu faire avec la chaise électrique ce qui avait été fait deux ans plus tard par Robert Wise avec la chambre à gaz (Je veux vivre!), ça ne traduit nullement ses exigences. Celles-ci se situent à un autre niveau, plus profond, dont il n'est d'ailleurs pas toujours facile pour l'auteur de rendre compte, à la différence d'une "note d'intention" ou toute autre considération sur le scénario. Pour autant, lorsque Lang ajoute qu'il s'agissait au départ d'un film contre la peine de mort mais que, à cause des nombreuses coupures, cette tendance a disparu — ce que les détracteurs du film auront vite fait de récupérer pour justifier leur hostilité —, il recourt cette fois à un double langage: 1) celui, directement accessible, et dont se contentera le plus grand nombre, qui ressemble à du dépit par rapport à ce que le film devait raconter — sauf que de ces coupures, Lang en est pour l'essentiel responsable; 2) celui, non accessible au spectateur qui ne sait rien de la genèse du film, révélant que l'Invraisemblable Vérité est bien, au départ, un réquisitoire contre la peine de mort, mais qu'après, on passe à autre chose, tout en gardant le même ton, qui explique les coupures et donne au film cette forme si particulière, unique en son genre (hors norme, d'où le rejet), en accord avec non plus le scénario original mais ce qu'on pourrait appeler la logique du film, qui correspond à une autre vérité, tout aussi invraisemblable, mais qui, elle, est censée restée secrète.
D'où il ressort que ce ne sont pas les coupures proprement dites qui ont réduit le film à l'état d'épure, même si ça renforce son côté asséché, alors qu'à l'inverse, l'exploitation du film en format large (2:00), contre la volonté de Fritz Lang qui l'avait tourné au format 4/3, lui confère un aspect moins saillant (Serge Bozon parle à propos du format carré du film de "sécheresse anguleuse"). C'est que dans ce film l'épure précède la coupure. C'est parce que Lang a pensé son film comme une épure (on verra pourquoi) qu'il a procédé à tant de coupures, soit pendant le tournage, soit lors du montage. Et pas des coupures "à la Ford", qui déchirait des pages entières du script parce qu'elles gênaient le bon déroulement de l'histoire, mais des coupures méthodiques, concernant tout ce que le scénario avait de trop humain. Il faut lire à ce sujet le livre de Bernard Eisenschitz, Fritz Lang au travail, dans lequel l'auteur recense la plupart des scènes coupées, en rapport avec le point de vue de Dana Andrews (Garrett) sur la peine de mort et la question des "preuves indirectes", sa vie notamment sentimentale (la scène d'amour avec Joan Fontaine est réduite à sa plus simple expression)... et plus généralement ce qui dans le scénario relevait du psychologique, était source d'émotions chez les personnages (ne restera à ce niveau que la scène finale entre Joan Fontaine et l'assistant du procureur, une fois la culpabilité de Dana Andrews révélée). Expliquant que l'aspect "réquisitoire" du film se trouve non pas effacé, comme le déplore malicieusement Fritz Lang, mais placé en exergue au début du film, avec la scène de l'exécution (Friedlob, le producteur, bien qu'il ait initialement encouragé Lang à la tourner, le lui a par la suite violemment reproché, traitant le cinéaste de "salaud qui se croit encore à la UFA"), après quoi, Lang pourra faire son film, taillant à volonté dans le scénario, pour lui donner cet aspect ingrat, volontiers déplaisant...
C'est alors qu'intervient le coup de théâtre: cinq minutes avant le dénouement, les données du problème sont brusquement inversées, au grand scandale des esprits cartésiens, qui n'admettent guère la technique du renversement dialectique. Or, si les solutions semblent également modifiées, ce n'est que simples apparences: les rapports restant les mêmes, et toutes les conditions étant alors remplies, la poésie fait son entrée. Ce qu'il fallait démontrer.
Le mot de poésie surprend ici: ce n'est sans doute pas celui que l'on attendait. Je le laisse cependant provisoirement, n'en connaissant pas d'autre qui exprime mieux cette brusque fusion en une seule vibration de tous les éléments jusqu'àlors tenus séparés par la volonté abstraite et discursive; passons donc aux conséquences les plus immédiates.
Il en est une à quoi j'ai déjà fait allusion: les réactions du public. Un tel film est évidemment l'antithèse absolue de l'idée de "la bonne soirée"; et par comparaison, le Condamné à mort et le Faux Coupable sont des divertissements de samedi soir. On y respire, si j'ose dire, l'air des sommets, mais en y risquant l'asphyxie; il ne fallait pas moins attendre de l'ultime dépassement d'un des esprits les plus intransigeants de ce temps, et dont les derniers films nous avaient déjà préparés à ce coup d'Etat du savoir absolu.
Une autre objection me tient plus à cœur: ce film serait purement négatif, et tellement efficace dans ses aspects destructeurs qu'il en arriverait au bout du compte à se détruire lui-même. Ceci n'est pas sans vraisemblance; je parlais tout à l'heure de refus; j'étais timide. C'est bien destruction en effet qu'il faut dire; destruction de la scène; aucune n'étant traitée pour elle-même, ne subsiste qu'un enchaînement de purs moments, dont n'est retenu que l'aspect médiateur: tout ce qui pourrait les déterminer ou les actualiser plus concrètement n'est ni abstrait, ni supprimé — Lang n'est pas Bresson — mais dévalorisé et réduit à la condition de pur repère spatio-temporel, dépourvu d'incarnation. Destruction même du personnage: chacun n'est vraiment plus ici que ce qu'il dit, que ce qu'il fait: qui sont Dana Andrews, Joan Fontaine, son père? Ces questions n'ont plus aucun sens; car les personnages ont perdu toute valeur individuelle, ne sont plus que des concepts humains. Mais, par conséquence, d'autant plus humains qu'ils sont moins individuels. Nous rencontrons donc ici une première réponse: que reste-t-il d'humain? Il n'y a plus que pur humain (...). Qui ne sort pas (...) bouleversé de ce film (...) ignore tout, non seulement du cinéma, mais aussi de l'homme.
Etrange destructeur, qui nous conduit déjà à une telle conclusion, et oblige à reprendre à l'envers l'objection: si le film est négatif, ce ne peut-être qu'à la façon du pur négatif, dont on sait qu'il est aussi la définition hégélienne de l'intelligence.
Il est difficile de préciser en une formule la personnalité de Fritz Lang (...) Je propose ceci: Lang est le cinéaste du concept, ce qui indique qu'on ne saurait parler à son propos sans méprise d'abstraction, ni de stylisation, mais de nécessité (nécessité qui doit pouvoir se contredire soi-même sans perdre sa réalité): encore ne s'agit-il pas d'une nécessité extérieure, qui serait par exemple celle du cinéaste, mais de celle qui naît du mouvement propre du concept. Au spectateur de prendre sur lui, non plus seulement les pensées des personnages, leurs "mobiles", mais ce mouvement même de l'Intérieur, à partir des seules apparences du phénomène; à lui de savoir transformer ses moments contradictoires en concept. Qu'est-ce donc enfin ce film? Fable, parabole, équation, schémas? Rien de cela, mais la simple description d'une expérience.
Je m'aperçois que je n'ai pas parlé encore du sujet de celle-ci; il n'est pas non plus sans intérêt. Il ne s'agit d'abord que d'une nouvelle variante du réquisitoire habituel contre la peine de mort, d'ailleurs assez subtile: une série d'apparences accablantes risque d'envoyer à la chaise électrique un innocent; mieux: celui-ci fut-il enfin prouvé vraiment coupable, ce ne serait que par son propre aveu, au moment même où son innocence était effectivement reconnue: d'où vanité de la justice humaine, ne jugez pas, ainsi de suite... Mais ceci semble vite un peu facile; le dénouement ne se laisse pas si aisément réduire, et conduit aussitôt à un deuxième mouvement: il ne saurait y avoir de "faux coupable"; tous les hommes sont coupables, a priori celui que l'on vient de gracier par erreur ne peut s'empêcher de se condamner immédiatement de lui-même. Nous entrons du même mouvement dans un monde impitoyable, où tout refuse la grâce, où le péché et la peine sont irrémédiablement liés, et où la seule attitude du créateur ne peut être que celle du mépris absolu. Mais une telle attitude est difficile à soutenir; alors que la générosité s'expose à la perte inévitable de ses illusions, à la rancœur et l'amertume, le mépris ne peut que rencontrer des bonnes surprises, et s'apercevoir enfin, non que l'homme n'est point méprisable (il le demeure), mais qu'il ne l'est peut-être pas autant qu'on le pouvait supposer.
Tout ceci nous oblige donc à dépasser également ce deuxième stade, et tenter d'atteindre enfin, au-delà, celui de la vérité. Mais de quel ordre celle-ci pourrait-elle être?
J'entrevois une solution: c'est qu'il est peut-être vain de vouloir opposer ce dernier film de Fritz Lang à d'autres plus anciens, tels You Only Live Once; qu'y voyons-nous en effet de part et d'autre? Ici, l'innocence avec toutes les apparences de la culpabilité; là, la culpabilité avec toutes celles de l'innocence. Qui ne voit qu'il s'agit de la même chose? Ou du moins, de la même question? Au-delà des apparences, que sont la culpabilité et l'innocence? Est-on même jamais innocent ou coupable? S'il y a, dans l'absolu, une réponse, elle ne peut-être sans doute que négative; à chacun donc, pour soi-même, de se créer sa vérité, si invraisemblable soit-elle. A la dernière image, le héros se conçoit enfin lui-même innocent ou coupable. A tort ou à raison, qu'importe pour lui?
On connaît les dernières phrases des Voix du silence: "L'humanisme, ce n'est pas dire: ce que j'ai fait, etc. (1)". Saluons donc, à l'avant-dernier plan, cette main à peine ridée, posée inéluctablement près de la grâce, et que ne fait pas même trembler cette forme la plus secrète de la force et de l'honneur d'être homme.
(1) "L'humanisme, ce n'est pas dire: 'Ce que j'ai fait, aucun animal ne l'aurait fait', c'est dire: 'Nous avons refusé ce que voulait en nous la bête'. (André Malraux, Les Voix du silence, 1951).
On le voit, le texte de Rivette est tout entier placé sous le signe de la négativité, la négativité dialectique, dans sa conception hégélienne (Hegel, le maître à penser des Cahiers à cette époque, comme le rappelait Rohmer dans le documentaire de Labarthe, auquel succédera, en toute logique, Lacan dans les années 70). C'est certainement à ce type d'interprétation, hautement intellectuelle, que se référait Bazin, ce qui fait des deux textes une sorte de dialogue entre les deux critiques. Luc Moullet, qui comme quelques uns des Cahiers (Bitsch, Domarchi, Godard...) défendait le film, répondra à son tour à Bazin, dans son livre sur Fritz Lang, publié en 1970, à travers la question non plus du mépris mais du "vide", y cultivant, fidèle à lui-même, le goût du paradoxe:
(...) La multiplicité des rebondissements contradictoires, en même temps qu'elle démontre la relativité de la Justice humaine, l'excuse par une sorte de relativité ontologique de tout jugement et de toute caractérisation: bon ou méchant, innocent ou coupable, il s'en faut de très peu pour que (le héros) soit l'un ou l'autre. La réalité en soi n'existe pas pour l'homme, et se définit par une suite d'apparences contraires dont la continuité laisse soupçonner l'éternité: si le dénouement ne nous satisfait guère, c'est qu'il est susceptible d'être encore démenti.
Nous nous mouvons dans un univers où il n'y a plus à juger, ni à discuter, ni à manifester le moindre sentiment, toute notation ou sensation personnelle se fondant sur du vent. On ne peut même plus critiquer le film, car, hormis l'intrigue, il est néant, vide, et l'on ne saurait faire la critique du vide. Tout juste peut-on constater que ce néant est intégral, homogène et continu pendant tout le film, et trouver ici un motif de louange: ceux qui condamnent l'œuvre ne peuvent rester insensibles à cette opiniâtreté, à cette unité de ton.
Voilà le seul chef-d'œuvre de l'Histoire du cinéma, dont on n'aie rien à dire, justement parce qu'il ne dit rien, et qui ne serait plus un chef-d'œuvre si on pouvait en dire quelque chose, parce qu'alors il dirait quelque chose.
Nous n'irons pas si loin. Notre sujet c'est l'épure, et ce à quoi elle renvoie dans le cas particulier du dernier film américain de Lang. La négativité ne justifie pas nécessairement l'épure, d'autant que Rivette parle plutôt d'exposé, autrement dit d'un problème dont le film se chargerait de présenter les termes. Le "coup de théâtre" final, que Rivette assimile à un renversement dialectique, apparaît moins comme la résolution du problème que comme la manifestation au grand jour, et pour le coup éclairante, de cette ambiguïté qui sied au cinéma de Lang, via notamment les notions d'innocence et de culpabilité, de grâce et de châtiment. On ajoutera seulement que la négativité qui ainsi traverserait le film est bien hégélienne:
— au sens où chez Lang elle serait, elle aussi, posée comme telle, sans critique de ce qui la constitue.
— d'où la remise en cause du caractère dialectique de son origine (là, c'est Heidegger qui parle).
— de sorte que cette négativité, de par ce "manque en elle", ne pourrait se manifester, ou alors sous la forme d'une souffrance (toujours Heidegger).
— ce que traduirait le dernier plan du film: le héros/l'homme/l'être "enfin lui-même, innocent ou coupable, peu importe", ainsi que le décrit Rivette.
On peut faire plus simple. En considérant d'abord ce que Fritz Lang dit lui-même des raisons de son départ à la fin du tournage, avec les réserves qu'il convient connaissant Lang, tant ce départ d'Hollywood, puis des Etats-Unis, n'est pas sans rappeler celui effectué vingt-trois ans plus tôt, quand il décida de s'exiler. Que l'Amérique l'ait déçu, comme l'Allemagne en son temps avait fini par l'écœurer, ne veut pas dire que chaque dernier film réalisé avant son départ témoignait d'un profond ressentiment. En ce sens, l'Invraisemblable Vérité n'est pas plus anti-américain que le Testament du Dr Mabuse n'était antinazi (on sait à quel point l'idée que le film serait une vision prémonitoire du nazisme a fait florès, surtout que Lang l'a reprise à son compte, comme toutes ces justifications a posteriori qui, d'une certaine façon, lui donnaient le beau rôle). Si Lang a quitté l'Allemagne, c'est en premier lieu parce que le Testament... avait été interdit par le pouvoir nazi, fraîchement installé, et que sa réputation déclinait. Quand bien même il aurait rencontré Goebbels (dans l'espoir de faire lever l'interdiction?), rien n'atteste que celui-ci lui ait proposé la direction du cinéma allemand. C'est parce que son activité de cinéaste semblait de plus en plus compromise qu'il a finalement décidé de partir. Et dans l'autre sens, c'est un peu la même chose. L'Invraisemblable Vérité vient après la Cinquième Victime (While the City Sleeps), avec lequel il forme une sorte de diptyque (par son sujet, sa forme épurée, la présence de Dana Andrews et celle de Bert Friedlob, le producteur). Autant le précédent tournage avait bénéficié d'un climat serein, malgré l'alcoolisme d'Andrews, autant celui-ci fut le théâtre d'une tension permanente entre Fritz Lang et Friedlob. Se serait la principale raison du départ de Lang avant même que le film ne soit terminé. Eisenschitz rapporte ainsi, outre la querelle au sujet de la scène de l'exécution, le fait que Lang se plaignait d'avoir constamment Friedlob sur le dos, et surtout sa crainte que ce dernier mutile le film lorsqu'il sera parti. Des rapports entre réalisateur et producteur qui rappellent les démêlés de Tourneur avec Chester lors du tournage de Night of the Demon (réalisé l'année suivante), rapprochement d'autant plus judicieux qu'on y trouve également Dana Andrews, en proie à ses problèmes d'alcool. L'idée, reprise par Eisenschitz, serait ainsi que Lang, fatigué de ces conflits perpétuels, aurait décidé de quitter le navire avant la fin, laissant le soin à son monteur, Gene Fowler Jr, en qui il avait entière confiance, de finir le travail à sa place, à partir de ses instructions. Ça va même plus loin. Informé des intentions de Friedlob qui, persuadé que le film serait un échec, avait donc prévu de l'exploiter en format large (davantage apprécié par le public) ainsi que d'en limiter sa durée pour qu'il puisse être diffusé lors d'un double programme, Lang aurait construit ses plans en laissant volontairement des espaces vides autour des personnages, surtout au-dessus de leurs têtes, soit les zones susceptibles de disparaître avec le format large, de même qu'il aurait coupé/fait couper les scènes dites "psychologiques" pour ne préserver que l'essentiel de l'intrigue (de sorte qu'on ne puisse couper davantage, ruse habituelle des cinéastes qui n'ont pas le final cut). Peut-être. Reste qu'un clash entre un réalisateur et son producteur, c'était monnaie courante à Hollywood, ça n'explique pas le départ de Lang des Etats-Unis. Surtout que les rapports entre Lang et Friedlob, s'ils étaient tendus, comme souvent entre deux "forts caractères", n'étaient pas dénués d'ambiguïté, comme en témoigne le fait que, malgré les différends et l'échec du film, Friedlob envisageait d'en produire d'autres avec Lang. Que celui-ci abandonne son film (préoccupé de plus par le projet d'un autre film, "Dark Spring", qu'il n'arrivait pas à monter et qui ne verra jamais le jour) est une chose, qu'il décide de quitter les Etats-Unis en est une autre. La réalité, c'est que Friedlob est mort un mois après la sortie du film, ce qui non seulement enterrait, si l'on peut dire, toute perspective de nouveau projet, mais, plus encore, signifiait pour Lang la fin d'une trajectoire tout juste entamée avec la Cinquième Victime, et portant sur ce "travail d'épure" dont l'Invraisemblable Vérité venait de marquer une nouvelle étape. Comme un processus, brutalement interrompu, que Lang ira poursuivre ailleurs, au Rajasthan, à Udaipur pour être précis... et non Jaipur dont le nom, c'est un fait, aurait mieux sonné (J'épure). Conclusion séduisante mais à vrai dire pas très convaincante...
Et puis j'ai revu le film (je l'avais découvert il y a longtemps)... Une deuxième fois, pour vérifier que certains éléments de l'intrigue ne m'avaient pas échappé, que Lang n'avait pas laissé traîner (malgré tout) quelques indices préparant le coup de théâtre final... et c'est vrai qu'on en trouve, sans qu'ils soient concluants pour autant (ils témoignent plutôt de l'ambiguïté du héros, qui semble dissimuler quelque chose, depuis cette histoire de livre, ce nouveau roman qu'il dit vouloir impérativement écrire avant de se marier, jusqu'à sa parfaite connaissance du crime qu'il attribue à chaque fois au fait que c'était dans le journal)... Puis une troisième fois, pour vérifier ce qu'il en est de cette possible "fascination" dont parle Rohmer — plutôt réticent à l'égard du film — à la fin de son article (paru, lui, dans Arts)... et c'est vrai qu'on la ressent, sans qu'elle relève du même mécanisme (c'est moins le monde que nous montre Lang qui finit par nous fasciner que l'incroyable rigueur dont il "fait preuve" pour déshumaniser son film à l'image du monde)... Ce qui fait qu'après la troisième vision, il faut tout reprendre à... zéro. Et se demander (enfin) si l'épure qu'est manifestement le film, s'inscrit dans la continuité de ce que fut le cinéma de Fritz Lang à Hollywood par rapport à la période allemande, tel un processus de "désexpressionnisation", s'il marque (comme on l'a précédemment évoqué) une étape supplémentaire, déjà à l'œuvre dans la Cinquième Victime, ou si on est là face à quelque chose de totalement nouveau, justifiant le recours par Lang à un schématisme que d'aucuns diront au mieux sidérant, parce que s'y perçoit, vis-à-vis de ce monde devenu inhumain, une forme de mépris absolu (Rivette), au pire consternant, parce que s'abaissant pour le coup, à la suite de la Cinquième Victime, au niveau du zéro absolu (Bazin). Deux positions extrêmes, dont témoigne l'utilisation du mot "absolu". J'en vois bien une troisième, pas aussi extrême (quoique), où il serait moins question de "mépris absolu" que de détachement (par rapport au public, par rapport au système), moins question de "zéro absolu" que de degré zéro (au sens barthésien du mot, concernant l'écriture), ce qui relèverait du cheminement de l'artiste, arrivé au dernier stade de son œuvre. Avec cette particularité chez Lang, qui donne à l'Invraisemblable Vérité ce côté à la fois sidérant et revêche, que tout dans ce film semble s'agglomérer pour ne faire qu'un, un seul corps, corps sans grâce, composé d'éléments uniformes, monocordes, soudés les uns aux autres, telles des concrétions, que ce soit au niveau: 1) de la lumière, ici d'un gris étale, à l'opposé des contrastes de noir et de blanc qui d'ordinaire caractérisent le film noir — là on est davantage dans la "série blême"; 2) du cadre, on l'a vu, avec l'histoire des deux formats, posant un vrai problème quand on regarde le film dans sa version "originale" (1:33), dans la mesure où Lang l'ayant donc tourné en 4/3 mais pensé en format large, cela crée au-dessus des personnages, surtout dans les plans d'ensemble, ces drôles d'espaces vides, comme neutres, ce qui intrigue, pire: cela donne l'impression que le film est par instants mal calé ou que, du fait que l'image semble abaissée, quelque chose y serait visuellement inaccessible; autant d'éléments, d'ordre technique, qui participent au sentiment de désagrément que peut susciter le film, mais ne disent rien de son côté soit disant "rebutant", car évidemment, c'est au niveau de l'épure (cet "extrême dépouillement", titrait Rohmer) que ça se passe. Alors, venons-y à cette épure.
L'épure, on peut la concevoir comme une construction, un tracé un peu plus élaboré qu'un simple plan dans ce que l'on cherche à représenter, mais bien souvent, comme ici, en ce qui concerne les œuvres tardives d'un artiste, cela relève de la soustraction. Et pour qu'il y ait soustraction, il faut, au départ, un matériau de base, pas nécessairement abondant, mais complet. C'est tout le travail de Lang en amont du tournage, puis du montage. La nécessité d'avoir en main tous les éléments du récit, pour qu'ensuite il puisse faire le tri entre ce qu'il garde et ce qu'il supprime. Dans quel but? Il y a l'intrigue policière, et son suspense qui retient l'attention du spectateur, pas méfiant quant au finale, d'autant que ce qu'il suit est déjà passablement tordu, mais parfaitement clair du fait de sa linéarité, qui voit les événements s'enchaîner sans que le récit dévie. Faire ainsi le tri entre ce que doit savoir et ne pas savoir le spectateur (on ne se pose pas la question de ce qu'il peut vaguement soupçonner). Et puis, il y a les personnages, dont les affects ont été suffisamment gommés pour qu'aucun (sauf l'assistant du procureur, il faut bien une exception à la règle) n'apparaisse ou ne se révèle véritablement sympathique (même les "filles", bien qu'amusantes, sont présentées comme cupides), ce qui en soi n'est pas très étonnant, c'est dans l'esprit des polars de l'époque. Le personnage de Dana Andrews est évidemment le plus troublant. Mais peut-être pas là où on l'attend. Fritz Lang déclare (ingénument?), à propos du twist final, que sa crainte était d'avoir présenté pendant tout le film Andrews comme un type honnête, puis subitement, dans les dernières minutes, de nous dire: bah non, c'était un salaud — crainte justifiée pour ce qui est du pacte de confiance avec le spectateur (on pense au Grand Alibi d'Hitchcock). Mais le film, surtout quand on l'a revu, impose une autre lecture. D'abord Andrews n'apparaît pas si sympathique que ça (trop poli — et insensible — pour être honnête) et c'est justement à la fin, comme l'a bien vu Rivette, que l'armure se fend (même si l'impassibilité demeure), à la faveur d'un lapsus, dont on sait la valeur d'acte manqué, conférant au personnage cette humanité qui lui a manqué pendant tout le film, alors que parallèlement Joan Fontaine, celle pour qui il avait tué — certes dans un but intéressé: épouser la fille de son ancien patron — se résout, non sans douleur mais suffisamment vite pour que l'acte de grâce ne soit pas signé, à envoyer un homme (son ex-fiancé donc) à la chaise électrique, et ainsi/aussi offrir la victoire au procureur, le rival de son père décédé, ennemi juré de la peine de la mort. C'est là, dans ces quelques minutes, que l'épure atteint au sublime, à travers un lapsus (deux syllabes, pas plus), un corps qui se plie (le devoir avant l'amour), une main qui reste suspendue (la grâce refusée)... Ces quelques minutes font écho à la scène d'ouverture, comme si c'était à sa propre exécution qu'assistait Dana Andrews au début, le film traçant ensuite une ligne entre cette scène et le finale, justifiant toutes les coupures, pour ne pas quitter la ligne, la suivre d'une traite, sans pause ni à-coup, créant cette impression, toujours terrifiante chez Lang, d'implacabilité.
D'ailleurs, où est Lang dans ce film? La question ne m'a pas tout de suite effleuré, mais maintenant que je me la suis posée, elle ne me quitte plus. Je parlais de soustraction dans l'épure. Soustraire après avoir accumulé (c'est l'aspect "matissien" de l'épure). Or, qu'accumule-t-on dans le film, si ce n'est d'abord des preuves, qu'on fabrique à dessein (un briquet, un lait pour le corps, un bas...) pour se faire inculper et, si tout se passe "bien", se faire condamner, avant de révéler que ces preuves étaient fausses et ainsi être innocenté. Des preuves qui, aux yeux de Spencer, le directeur du journal où travaillait Andrews (c'est lui qui a conçu ce plan diabolique pour démontrer l'inanité de la peine de mort), doivent être suffisamment tangibles pour qu'on croit à la culpabilité de celui qu'elles accusent, puis, une fois la condamnation prononcée, se détruire d'elles-mêmes, en quelque sorte, par le dévoilement de la mise en scène. Sauf qu'en disparaissant avant l'heure, elles ne retrouvent pas leur statut d'origine, celui de preuves fabriquées, et perdent en même temps le caractère irréfutable qu'elles avaient au début de l'enquête. Le doute s'installe — c'est le stade des "vraies fausses preuves" —, entretenu par la campagne de presse que mène Joan Fontaine pour sensibiliser l'opinion. En face, il y a Thompson, le procureur, partisan de la peine capitale, décidé à faire exécuter Andrews et qui, pour arriver à ses fins, dit vouloir s'appuyer sur des faits et non le ressenti des gens ("people feel"), soit un discours assez proche de celui que tenait Spencer, les deux hommes ne s'opposant finalement que sur la question de la peine de mort. Si sur ce point Lang s'identifie à Spencer, pour le reste, à savoir l'engagement dans le travail (quelle que soit la cause), on peut voir Spencer et Thompson comme des portraits de Lang lui-même travaillant à son film, par la primauté accordée aux faits et non aux émotions. Spencer accumule avec l'aide d'Andrews des preuves qui seront perdues (accidentellement et irrémédiablement puisque fondées sur des photos Polaroïd), puis Thompson, pour des raisons contraires mais qui portent là aussi sur la culpabilité d'Andrews, en cherche de nouvelles, en vain, avant qu'une preuve ultime (l'explication en détail du plan par Spencer) ne surgisse in extremis... ce qui, finalement, ne servira à rien. De la même manière, Lang, dans son travail sur le scénario, multiplie les scènes, en élimine certaines, puis en réintroduit d'autres, lesquelles ne seront pas toutes utilisées. C'est ça aussi l'épure.
En guise de conclusion (provisoire?)