22/12/2024

Wes France


  The French Dispatch de Wes Anderson (2021).

  Ecart / Encart.

Dans The French Dispatch, peu l'ont souligné, peut-être même personne, mais vers la fin du film Wes Anderson (via Anjelica Huston, la narratrice) apporte une précision concernant Liberty, Kansas où se trouve le siège américain du Evening Sun: la ville est située à 15 km du centre géographique des Etats-Unis. Précision qui en appelle deux autres: 1) on parle ici de l'ancien centre géographique avant que ne soient intégrés à l'Union les Etats d'Alaska et de Hawaï; 2) Liberty existe bien, c'est un trou paumé d'Amérique (une centaine d'habitants), mais elle est située beaucoup plus loin du "centre", la ville référence étant Lebanon (guère plus peuplée), localisée, elle, à 4 km dudit centre... Si Wes Anderson a choisi Liberty c'est que ça sonne mieux, mais aussi parce que le nom de Lebanon, il l'avait déjà été utilisé dans Moonrise Kingdom (Fort Lebanon, le camp principal des scouts), le fait aussi, peut-être, que son épouse, Juman Malouf, est libanaise et que c'est elle qui a illustré la couverture du livre issu du film. Cela dit, l'essentiel n'est pas là. Ce qui compte, c'est l'idée de centre, et plus précisément de décentrement: l'écart léger, pas toujours perçu mais bien réel, qui existe dans les films d'Anderson entre un centre organisateur, parfaitement structuré, d'où partiraient les lignes de fuite (si l'on s'en tient aux dix dernières années: un terrier et ses galeries, une forêt et ses recoins, un grand hôtel et ses connexions, une île-poubelle et ses circuits, un magazine et ses réseaux), et ce qu'on pourrait appeler l'autre centre, légèrement "décalé", assimilable au premier parce que très proche, mais qui en diffère parce que moins pur, du fait du décalage.
Ce degré d'impureté est ce qui conditionne la réussite d'un film. Peu importe que le film soit surchargé, qu'il y ait comme un "trop-plein", l'asphyxie ne naît pas de l'accumulation (celle-ci ne saurait être totale), mais de l'absence d'impureté qui, elle, empêche vraiment une séquence, même dépouillée, de "respirer". Ce qui fait la beauté et l'émotion du cinéma de Wes Anderson, c'est que, dans de nombreuses séquences, de nombreux plans, même les plus élaborés, quelque chose, souvent pas grand-chose, vient troubler le bon ordonnancement de l'ensemble, à la manière des films de Tati, qu'il s'agisse de l'expressivité, subitement plus marquée, d'un regard ou d'un geste, ou de la simple présence, incongrue, d'un détail (comme dans les dessins de Sempé qui, soit dit en passant, a travaillé pour The New Yorker). Ce "pas grand-chose" qui fait qu'on passe de l'organisé à l'organique, de l'inerte à la vie, n'est pas constant chez Anderson, parfois il manque et la séquence ne fonctionne pas ou moins bien. Non pas qu'il y ait là un problème d'inspiration (la créativité du cinéaste semble sans limite) mais que la séquence souffre d'une trop grande complexité dans sa représentation (ce qui est différent du trop-plein), annihilant, pour une bonne part, son pouvoir d'émotion. C'est le ludus, cher à Roger Caillois, ce "plaisir qu’on éprouve à résoudre une difficulté créée à dessein (...) telle que le fait d’en venir à bout n’apporte aucun autre avantage que le contentement intime de l’avoir résolue", et qui chez Wes Anderson culmine dans certains plans hyper-construits de Isle of Dogs (mêlant à la ligne déjà bien fournie du récit, fait de flashbacks, le japonisme de l'auteur). Des défauts relatifs, si on tient compte de ce que le film offre par ailleurs, mais qu'on retrouve aussi, quoique à un degré moindre, dans The French Dispatch... Des "défauts" qui sont donc plus nombreux dans les deux derniers films, témoignant du désir toujours plus fort chez Wes Anderson de relever des défis toujours plus hauts: au niveau de la forme (la composition des plans), ce qui ne peut que retentir sur la narration, créant par moments un certain "brouillage".
De sorte qu'aujourd'hui les films d'Anderson doivent impérativement être vus deux fois pour être appréciés à leur juste valeur. Deux fois, et dans la foulée pour que, la seconde fois, on puisse repérer ce qu'on n'avait pas vu la première fois tout en ayant encore parfaitement en mémoire ce qu'on y avait perçu, ce qui est différent de la revoyure, nouvelle vision à distance d'un film que, du coup, on redécouvre. Là, la vision en deux temps rapprochés du film s'en trouve, non pas radicalement changée mais disons réajustée, au sens de "rendue plus juste". Le cinéma de plus en plus "littéraire" de Wes Anderson suppose ainsi qu'on le regarde de la même manière qu'on lirait une nouvelle ou une BD. Mais faute de pouvoir s'y arrêter, et bien sûr de revenir en arrière (j'évoque ici la vision originelle, idéalement en salle), les films aujourd'hui incroyablement denses de Wes Anderson ne peuvent que pâtir d'une unique vision, surtout quand ils sont vus par des spectateurs, et ils sont nombreux, qui n'ont pas, ou ont perdu, l'habitude de lire. Dommage pour eux parce que "lire" un film de Wes Anderson est à l'heure actuelle, dominée par le "tout-vitesse" comme il y a le "tout-image", une des choses les plus merveilleuses qui soient au cinéma. Une façon de retrouver un peu du temps d'autrefois, de celui qu'on pouvait encore savourer.

Wes France.

Soit donc la maquette d'un magazine, style The New Yorker, comme charpente du film, au même titre que l'agencement d'un orchestre symphonique, l'architecture d'un grand hôtel ou la structure d'une usine de recyclage... Une maquette pour confectionner le dernier numéro d'une revue, plus précisément son supplément week-end dont le rédacteur en chef (Bill Murray) vient de mourir. Le siège de la revue (The Liberty, Kansas Evening Sun) est située au fin fond de l'Amérique, exactement au "centre" ou presque (cf. supra), mais le supplément, "The French Dispatch" consacré à la vie culturelle française, est lui basé en France, à Ennui-sur-Blasé (un nom de ville comme on en trouve dans les BD, le film a d'ailleurs été tourné à Angoulême, capitale de la bande dessinée) (1), rédigé par des expatriés, à l'image de Wes Anderson qui habite une bonne partie de l'année à Paris. Après le Japon dans Isle of Dogs, une histoire de chiens contaminés et déportés sur une île-poubelle, où l'on trouvait, comme greffés sur l'histoire, les stéréotypes — ici très réussis — qui touchent à la culture japonaise (le taiko, le sumo, les sushis...), c'est la France, en tant qu'écrin culturel, qui prend le relais, via un double numéro (hommage au chef défunt), constitué d'un prologue et de trois récits: les trois meilleurs jadis publiés par la revue, où l'on retrouve, là aussi, les clichés propres au regard qu'un étranger porte sur tout pays qui n'est pas le sien, mais des clichés davantage intégrés au récit puisqu'il s'agit d'expatriés et que le regard, qui n'a plus rien de touristique, y est celui de l'exilé, avec ce que cela suppose de mélancolique.

Voilà pour le décor. Voyons ce qu'il en est du film proprement dit où, comme toujours chez Wes Anderson (et peut-être plus encore aujourd'hui) les références abondent, les citations aussi... D'autant qu'ici ça touche d'emblée à la composition du film, qui fait correspondre maquette journalistique et film à sketches: c'est le côté italien (le film a episodi) de The French Dispatch auquel renvoient la musique de Morricone (L'ultima volta) et le personnage de Zeffirelli (l'étudiant "complexé par ses nouveaux muscles" que joue Timothée Chalamet) dont le choix du nom interroge, écho non pas à l'œuvre pour le moins académique du réalisateur de Roméo et Juliette, mais — c'est une hypothèse — à son enfance, pour le moins atypique (Franco Zeffirelli était orphelin comme le sont la plupart des petits héros d'Anderson: Sam, Zero, Atari, voire le Zeffirelli du film dont les parents — adoptifs? — se nomment B.). De toutes les citations, c'est d'ailleurs la citation cinéphile qui est la plus présente dans The French Dispatch. Il y a bien sûr la citation littéraire, concernant les journalistes du magazine dont il est possible pour chacun d'entre eux de trouver celui ou celle du New Yorker qui lui correspond (le générique de fin les cite: de Harold Ross à James Baldwin, en passant par Rosamond Bernier, S.N. Behrman, Mavis Gallant, etc. — cf. l'interview de Wes Anderson dans... The New Yorker), mais c'est bien le fil cinéphile qui court tout le long de The French Dispatch, sans que pour autant le film se transforme en quiz (c'était le danger et si le film y échappe c'est parce que la gourmandise d'Anderson en matière de récit, comme son indéfectible croyance aux pouvoirs des images, cette capacité d'émerveillement toujours intacte chez lui — nulle roublardise —, font passer le côté quiz largement au second plan). On évoquera donc, sans s'y attarder, Tati (pour la description d'Ennui-sur-Blasé, le clin d'œil à la maison de M. Hulot dans Mon oncle), Renoir (pour le côté anarchisant du peintre psychopathe), Godard bien sûr (pour l'épisode sur Mai 68 — en fait le Mouvement du 22 mars), Clouzot (pour le personnage du commissaire joué par Amalric, décalque de celui qu'incarne Jouvet dans Quai des Orfèvres), et puis Truffaut, Vigo, plein d'autres encore... sachant que dresser la liste n'a aucun intérêt, pas plus en tout cas que de repérer les endroits d'Angoulême qu'on a transformés pour faire parisiens et que ça rappelle le Paris des années 50-60... Parce que s'arrêter aux décors comme aux références, c'est prêter le flanc aux anti-andersoniens, toujours prompts à nous servir le couplet habituel sur Wes Anderson: cinéma sous verre et sans vie, plans-vignettes sur-cadrés et submergés de détails, récit tarabiscoté et toujours trop long. OK, encore faudrait-il regarder les films au lieu de regarder sa montre. Le récit, parlons-en justement. On remarquera parmi ceux qui n'ont aimé qu'une seule des trois histoires qu'ils ont rarement aimé la même: pour certains, c'est la première et après le film se perd; pour d'autres, c'est la troisième mais qui arrive trop tard; et pour d'autres encore, c'est la deuxième qui rend le film boiteux. Cette absence d'unanimité, sur ce qu'on a aimé ou qu'on n'a pas aimé dans le film, est symptomatique du paradoxe andersonien, système a priori fermé, marqué par le repli, qui voit l'auteur, indécrottablement fidèle à ses principes (esthétiques), ne pas chercher à plaire, du moins à tout le monde, et en même temps, d'une totale liberté, marqué par l'aventure narrative, de sorte que pour un certain nombre la séduction, quoique incertaine, restera toujours possible, en fonction de ce qui leur est raconté, et, ajouterons-nous, quelle que soit la forme. Cette opposition entre repli et liberté parcourt tout le cinéma de Wes Anderson, à travers notamment ce qui oppose le renard au loup, les adultes aux enfants, le totalitarisme à l'art, les chiens fidèles aux chiens errants (et non les chiens aux chats)... Et dans The French Dispatch?

Pour répondre à la question, il faut d'abord mettre en avant ce qui court à l'intérieur même du film, d'un récit à l'autre. La première chose, évidente, outre que ça se passe dans la même ville, à Ennui-sur-Blasé (à prononcer avec l'accent américain), c'est que chaque récit (même le prologue) nous est rapporté par celui ou celle qui l'a écrit, qui joue ainsi le rôle de médiateur/médiatrice pour le spectateur, mais pas seulement puisqu'il ou elle est aussi acteur/actrice des événements racontés. Mieux: sur ces récits, nous avons à la fin le point de vue du rédacteur en chef, de sorte que le regard de l'exilé se double d'un regard critique, offrant une autre perspective, qui répond aux règles de rédaction du magazine (ne pas se répéter, rassembler l'essentiel, faire ressortir l'intention, donner l'impression que c'est écrit comme ça exprès...), autant de règles qu'il est difficile de ne pas rattacher à celles que — j'imagine — Wes Anderson s'applique à lui-même, ou aimerait s'appliquer, manière pour lui non pas de se justifier, mais d'aller plus loin dans sa façon de conduire un récit, quand l'auteur, débarrassé de la tentation nostalgique (prologue), s'affranchit de ses contraintes (récit 1), sans céder au narcissisme (récit 2), pour atteindre ce qu'il cherchait sans en être parfaitement conscient (récit 3), ce qui dans le dernier récit, se traduit — idée lumineuse — par la récupération du brouillon jeté un peu trop vite dans la corbeille à papier alors que c'était la meilleure partie de l'article. Tout ça pour dire que tout n'est pas réussi dans The French Dispatch, loin s'en faut, d'abord parce qu'un film à sketches, c'est par définition inégal, mais surtout parce que les films de Wes Anderson, à travers ce qu'ils mettent en jeu, au niveau des formes (beaucoup plus changeantes qu'on ne le dit), ne peuvent pas et ne pourront jamais être parfaits. Peu importe, l'essentiel est le mouvement d'ensemble, où se dégage cette volonté chez lui de dépassement (parler de ressassement c'est ne rien comprendre à son travail), ce besoin, vital artistiquement, de se lancer des nouveaux défis, toujours plus hauts, au risque de la complexité (justifiant, comme il a été dit plus haut, qu'il faille voir les films deux fois surtout les derniers), et de perdre alors une partie de son public, pas forcément désireux de le suivre, mais aussi de moins en moins armé pour une telle entreprise. Celle-ci n'en reste pas moins admirable, d'autant que jusqu'à présent chacun de ces films, pris là aussi dans son ensemble, finit toujours par emporter le morceau.

(1) Pourquoi ce nom, Ennui-sur-Blasé? La vie n'y semble pas plus ennuyeuse qu'ailleurs et ses (rares) habitants n'ont pas l'air non plus spécialement blasé. Y voir alors l'équivalent toponymique du personnage impassible et désabusé que joue Bill Murray... 

Bonus: Aline par Jarvis Cocker.

Un film juif?

Ce qui suit renvoie à des articles ( et ) consacrés au film, dans lesquels le journaliste recense, via les acteurs mais surtout les personnages et les grandes figures du magazine The New Yorker qui les ont inspirés, tout ce qui ferait de The French Dispatch "le film le plus juif" du cinéaste. L'intérêt d'une telle démarche est limité, sauf à considérer tous ces apports juifs sous un autre angle. Si l'on s'en tient à la seule référence journalistique, on s'aperçoit (aidé en cela par ce que dit Anderson lui-même dans l'interview qu'il a accordée au New Yorker) que de nombreux personnages du film se nourrissent non pas d'une seule influence mais de plusieurs, parfois de façon paradoxale (que ne peut ou ne veut expliquer Wes Anderson), et que si ce mélange d'influences va bien avec le côté mashup du film (qu'illustre le prologue raconté par Herbsaint Sazerac/Owen Wilson, dont le nom, Sazerac, est celui d'un cocktail américain à base de whisky, sauf qu'à l'origine c'était du cognac fabriqué près d'... Angoulême, capitale de la BD), il s'avère que la plupart des personnages s'inspirent de personnalités juives et non juives.

Ainsi par exemple:
— Arthur Howitzer Jr (Bill Murray) = AJ Liebling + Harold Ross
— JKL Berensen (Tilda Swinton) = Rosamond Bernier (née Rosenbaum) + Janet Flanner
— Julian Cadazio (Adrien Brody) = Joseph Duveen
— Moses Rosenthaler (Benicio del Toro): pas de référence précise, le personnage du peintre étant présenté comme le fils d'un éleveur de chevaux juif mexicain, mais au niveau de son art une sorte de Pollock en plus torturé (voire le Frenhofer de Balzac et sa "muraille de peinture") 
— Lucinda Krementz (Frances McDormand) = Lilian Ross (née Rosovsky — aucun lien avec Harold Ross) + Mavis Gallant
— Zeffirelli (Timothée Chalamet) = Daniel Cohn-Bendit (mais la coiffure évoque plutôt le Rimbaud peint par Fantin-Latour)
— Roebuck Wright (Jeffrey Wright) = AJ Liebling (pour son goût de la bonne chère) + bien sûr James Baldwin

L'exception à la règle c'est Joe Mitchell qui a inspiré à la fois le personnage de Herbsaint Sazerac (Mitchell privilégiait dans ses reportages les bas-fonds de New-York et toute sa pléiade de marginaux) et celui du "cherry writer" qui n'a jamais pu écrire une ligne (Mitchell a souffert par la suite du syndrome de la page blanche).

Tout ça pour dire que The French Dispatch n'est pas à proprement parler "un film juif" sous prétexte qu'on y trouve pas mal de personnages possiblement juifs (du fait des références, car le seul qui l'est de façon sûre c'est le peintre Rosenthaler). Ici rien de la "pensée juive", plutôt l'hommage de Wes Anderson à un milieu (littéraire, journalistique, artistique) dans lequel il est de tradition de rencontrer des personnalités juives ou d'origine juive. Le fait qu'Anderson ne les retienne pas comme références exclusives (à part Duveen peut-être) pour portraiturer ses personnages, en accord avec son goût des assemblages, témoigne, outre le plaisir très dandy chez lui à créer des caractères nouveaux et uniques, d'une forme de "judéo-christianisme", au sens littéral du mot: qui mêle sans distinction judaïsme et christianisme, et ainsi les confond. Le meilleur exemple de cette "confusion" est bien le personnage d'Howitzer que Wes Anderson dit avoir imaginé à partir d'Harold Ross (un pur presbytérien) mais avec la tête de Liebling (une "tête d'obus"? d'où le nom Howitzer?). A l'arrivée, des personnages pas vraiment juifs (en tous les cas qui ne sont pas salingeriens comme dans The Royal Tenenbaums ou zweigiens comme dans The Grand Budapest Hotel), et encore moins WASP (comme dans Moonrise Kingdom), sans religion précise pourrait-on dire, vu qu'ici le petit monde wesandersonien s'apparente plus que jamais à un système clos, "plein comme un œuf" (pour citer Barthes parlant de Jules Verne), un monde sans hors-champ, parce que l'englobant tout entier, où tout est là qui s'additionne, que cela touche à l'art (cf. par ailleurs l'exposition conçue par Wes Anderson et Juman Malouf), la religion ou la politique, expliquant que l'épisode central de The French Dispatch renvoie moins aux événements de Mai 68 qu'au mouvement étudiant du 22 Mars: les grèves à Nanterre pour obtenir, entre autres, le libre accès des garçons aux dortoirs des filles — puisque l'inverse était autorisé —, où se trouvaient, encore mêlés à l'époque, gauchistes divers et catholiques de gauche, mais aussi ceux qui n'avaient jamais fait de politique auparavant, de simples jeunes en rupture de ban ("les enfants grognons"), soit le mixte idéal pour Wes Anderson, comme l'est cette histoire de manifeste (révolutionnaire) "rectifiée" par une journaliste américaine! Chez Anderson, c'est l'aspect pluraliste qui prime, de sorte que ce que raconte son film, sans que l'auteur l'ait vécu (hormis ce même regard d'exilé que celui des journalistes qu'il met en scène) n'est rien d'autre qu'un livre-mémoires où Wes Anderson s'invente dans la peau d'un ancien rédacteur en chef du plus sophistiqué des magazines américains (et non de l'ancienne réceptionniste dudit magazine: Janet Groth — il aurait fallu pour cela confier le rôle principal à Scarlett Johansson). Et que s'il fallait dégager une seule figure parmi toutes celles qu'Anderson convoque, la figure dans laquelle il pourrait lui-même s'identifier, ce serait je crois celle de James Thurber, écrivain à l'imagination débordante, l'auteur de La Vie secrète de Walter Mitty, auteur également d'une biographie d'Harold Ross, qui vécut plusieurs fois en France et qui, pour le New Yorker, écrivit non seulement de nombreuses histoires mais fut aussi un extraordinaire illustrateur. On est loin du "film juif".

4, 8 et 21 novembre 2021